Locations courte durée et régime d’autorisation préalable

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La loi de Modernisation de l’économie, loi n°2008-776, en date du 4 août 2008 a introduit des modifications aux articles L 631-7 et suivants du code de la construction et de l’habitation.

Cette loi a eu un impact considérable puisqu’elle a attribué une compétence initialement accordée au Préfet, au maire afin que celui-ci soit compétent pour délivrer des autorisations de changement d’usage des locaux d’habitation.

Avant même l’entrée en vigueur de cette nouvelle loi, qui devait s’effectuer au 1er janvier 2009, un arrêté municipal a été pris à Paris aux dates du 15, 16 et 17 décembre 2008 afin de donner compétence au maire de Paris, se substituant à l’arrêté préfectoral du 1er décembre 2005. Une société avait tenté de remettre en cause la légalité de ce règlement mais avait été débouté par le Tribunal administratif de Paris dans un jugement en date du 29 novembre 2012 (jugement n°1107051/7-1), confirmé par la suite par une décision inédite de la Cour d’Appel de Paris (décision n°13PA00424), en date du 1er juillet 2014.

La mairie de Paris (la municipalité) a adopté par la suite divers règlements municipaux (en 2008, en 2014 puis en 2018) afin de fixer les conditions de délivrance des autorisations de changements d’usage des locaux d’habitation et la détermination des compensations. Au travers de ces divers règlements la Ville de Paris a souhaité encadrer l’exercice des locations meublées de courte durée, ayant explosées avec l’arrivée de divers sites Internet tel que AirbnB ou Abritel (appartenant au groupe Homeaway, le bon coin etc)…

Ces règlements municipaux adoptés prévoyaient notamment les conditions et modalités de délivrance des autorisations préalables.

Deux sociétés possédant des biens immobiliers sur Paris ont décidé de proposer ces biens à la location pour de courtes durées, sauf que ce projet de locations meublées pour une courte durée n’avait pas été déclaré à la mairie de Paris et n’avait dès lors pu obtenir l’autorisation préalable permettant le changement d’usage de l’habitation.

La ville de Paris a assigné ces sociétés pour non-respect de son règlement en vigueur établi au regard des articles L 631-7 et suivants du code de la construction et de l’habitation. Les sociétés assignées ont porté ce conflit devant les juridictions nationales et ont été déboutés de leur demande, ces dernières ont été condamnées à une amende et il a été rappelé que les biens immobiliers possédés étaient des biens immobiliers à usage d’habitation, dès lors une activité de locations de courte durée était en contradiction avec l’usage de ces biens immobiliers.

Ayant été condamnées en appel, les sociétés ont formé un pourvoi en cassation afin de contester la légalité du règlement pris par la ville de Paris au regard des articles L 631-7 et suivants du code de la construction et de l’habitation, qui seraient en contradiction avec la Directive 2006/123 CE du Parlement Européen et du Conseil, en date du 12 décembre 2006, portant sur les services dans le marché intérieur.

La cour de Cassation a décidé de saisir la CJUE à titre préjudiciel, tel que le prévoit l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne.

La Cour de Justice de l’Union Européenne a rendu un arrêt le 22 septembre 2020, dans les affaires jointes C-724-18 (Cali Apartments SCI) et C-727/18 (HX). Dans cet arrêt rendu par la Grande Chambre de la CJUE, la Cour a répondu aux diverses questions préjudicielles posées.

La première question préjudicielle portait sur l’application de la directive 2006/13/CE « aux locations à titre onéreux, même à titre non professionnel, de manière répétée et pour de courtes durées, d’un local meublé à usage d’habitation ne constituant pas la résidence principale du loueur, à une clientèle de passage n’y élisant pas domicile, notamment au regard des notions de prestataires et de services »

La CJUE répond par l’affirmative (au paragraphe 45) , indiquant qu’ « il convient de répondre à la première question que les articles 1er et 2 de la directive 2006/123 doivent être interprétés en ce sens que cette directive s’applique à une réglementation d’un État membre relative à des activités de location contre rémunération de locaux meublés destinés à l’habitation à une clientèle de passage n’y élisant pas domicile, effectuées de manière répétée et pour de courtes durées, à titre professionnel comme non professionnel. »
Si une réponse positive était donnée à la première question, la Cour devait s’interroger sur la seconde question préjudicielle, interrogeant cette dernière sur le fait de savoir si : « une réglementation nationale, telle que celle prévue par l’article L. 631-7 du code de la construction et de l’habitation, constitue-t elle un régime d’autorisation de l’activité susvisée au sens des articles 9 à 13 de la directive 2006/123 […] ou seulement une exigence soumise aux dispositions des articles 14 et 15 [de cette directive] ? »

La Cour a répondu à cette seconde question préjudicielle en indiquant que l’article 4 de la directive précitée, devait être interprété au « sens qu’une réglementation nationale qui soumet à autorisation préalable l’exercice de certaines activités de location de locaux destinés à l’habitation relève de la notion de ” régime d’autorisation “, au sens du point 6 de cet article. »

La troisième question préjudicielle posée concernait l’article 9 de la directive, ce dernier « devait-il être interprété en ce sens que l’objectif tenant à la lutte contre la pénurie de logements destinés à la location constitue une raison impérieuse d’intérêt général permettant de justifier une mesure nationale soumettant à autorisation, dans certaines zones géographiques, la location d’un local meublé destiné à l’habitation de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile ? »

La 4ème question préjudicielle posée concernait la proportionnalité de cette mesure face à l’objectif poursuivi, dans le cas où il aurait été apporté une réponse affirmative à la troisième question.

La 5ème question portait sur l’existence d’une possible opposition de « l’article 10, paragraphe 2, sous d) et e), de la directive [2006/123] à une mesure nationale qui subordonne à autorisation le fait de louer un local meublé destiné à l’habitation “de manière répétée”, “pour de courtes durées”, à une “clientèle de passage qui n’y élit pas domicile” »

La 6ème question portait sur l’existence d’une possible opposition de « l’article 10, paragraphe 2, sous d) à g), de la directive [2006/123] à un régime d’autorisation prévoyant que les conditions de délivrance de l’autorisation sont fixées, par une délibération du conseil municipal, au regard des objectifs de mixité sociale, en fonction notamment des caractéristiques des marchés de locaux d’habitation et de la nécessité de ne pas aggraver la pénurie de logements »

La CJUE a répondu à la troisième et quatrième question en indiquant que : « l’article 9, paragraphe 1, sous b) et c), de la directive 2006/123 doit être interprété en ce sens qu’une réglementation nationale qui, pour des motifs visant à garantir une offre suffisante de logements destinés à la location de longue durée à des prix abordables, soumet certaines activités de location contre rémunération de locaux meublés destinés à l’habitation à une clientèle de passage n’y élisant pas domicile, effectuées de manière répétée et pour de courtes durées, à un régime d’autorisation préalable applicable dans certaines communes où la tension sur les loyers est particulièrement marquée est justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général tenant à la lutte contre la pénurie de logements destinés à la location et proportionnée à l’objectif poursuivi, en ce que celui-ci ne peut pas être réalisé par une mesure moins contraignante, notamment parce qu’un contrôle a posteriori interviendrait trop tardivement pour avoir une efficacité réelle. »

La CJUE a répondu à la cinquième et sixième question en indiquant que : « l’article 10, paragraphe 2, de la directive 2006/123 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale instituant un régime qui subordonne à une autorisation préalable l’exercice de certaines activités de location contre rémunération de locaux meublés destinés à l’habitation, qui est fondée sur des critères tenant au fait de louer le local en cause ” de manière répétée et pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile ” et qui confie aux autorités locales le pouvoir de préciser, dans le cadre fixé par cette réglementation, les conditions d’octroi des autorisations prévues par ce régime au regard d’objectifs de mixité sociale et en fonction des caractéristiques des marchés locaux d’habitation et de la nécessité de ne pas aggraver la pénurie de logements, en les assortissant au besoin d’une obligation de compensation sous la forme d’une transformation accessoire et concomitante en habitation de locaux ayant un autre usage, pour autant que ces conditions d’octroi soient conformes aux exigences fixées par cette disposition et que cette obligation puisse être satisfaite dans des conditions transparentes et accessibles. »

LA CJUE a ainsi confirmé que l’application de la directive 2006/123/CE aux réglementation d’un état membre pour les « activités de location contre rémunération de locaux meublés destinés à l’habitation à une clientèle de passage n’y élisant pas domicile, effectuées de manière répétée et pour de courtes durées, à titre professionnel comme non professionnel. » que le régime des autorisations préalables relève de la notion de régime d’autorisation tel que prévu à l’article 6 de ladite directive.

Ce régime d’autorisation préalable est justifié puisqu’il vise à garantir une offre suffisante de logements destinés à la location longue durée à des prix abordables, notamment dans les communes ou la tension sur les loyers est particulièrement sensible et est marqué par un motif impérieux d’intérêt général visant notamment à lutter contre la pénurie de logements.

Ce régime est donc parfaitement proportionnel à l’objectif poursuivi et ne saurait être considéré comme une mesure contraignante, notamment parce qu’il ne peut faire l’objet d’une mesure moins contraignante ou a posteriori qui interviendrait trop tardivement et dont l’efficacité serait moindre.

La Cour rappelle également le rôle des autorités nationales qui doivent préciser dans le cadre de la réglementation nationale les « conditions d’octroi des autorisations prévues par ce régime au regard d’objectifs de mixité sociale et en fonction des caractéristiques des marchés locaux d’habitation et de la nécessité de ne pas aggraver la pénurie de logements, en les assortissant au besoin d’une obligation de compensation sous la forme d’une transformation accessoire et concomitante en habitation de locaux ayant un autre usage, pour autant que ces conditions d’octroi soient conformes aux exigences fixées par cette disposition et que cette obligation puisse être satisfaite dans des conditions transparentes et accessibles. »

Suite à cet arrêt de la CJUE, la Cour de Cassation a pris acte de cela, dans une décision n°17-26.156 en date du 18 février 2021, puisqu’elle a rejeté le pourvoi formé par la société Cali Apartments SCI en indiquant que l’exigence de proportionnalité des conditions d’octroi de l’autorisation de changement d’usage était conforme aux dispositions de l’article 10 §2 sous c) de la directive 2006/123/CE, que la lutte contre la pénurie de logement était un motif impérieux d’intérêt général et qu’en ce sens la réglementation prise par la Ville de Paris était justifiée légalement, que les dispositions de l’article que « L. 631-7, alinéa 6, du code de la construction et de l’habitation répondait aux exigences de clarté, d’objectivité et de non-ambiguïté de l’article 10, paragraphe 2, sous d) et e), de la directive 2006/123 (…) Il s’ensuit que les articles L. 631-7, alinéa 6, et L. 631-7-1 du code de la construction et de l’habitation sont conformes à la directive 2006/123 du 12 décembre 2006. »

La ville de paris, peut ainsi soumettre les locations courtes durée à un régime d’autorisation préalable, tel que prévu par les articles L 631-7 et suivants du code de la construction et de l’habitation et dont les conditions et modalités sont expressément exposées par des règlements municipaux pris, cela ne n’étant absolument pas contraire aux diverses dispositions de la directive 2006/123/CE.