Une crise sanitaire touche actuellement la quasi-totalité des pays du monde, cette crise sans précédent, d’une gravité exceptionnelle impose de revoir certains mécanismes, alors en vigueur depuis des années.
En 1994, une directive 94/19 fut prise par le Parlement et le Conseil européen, cette dernière concernait les systèmes de garanties des dépôts[1] et avait pour objectif non dissimulé d’accroitre la protection des déposants mais aussi d’harmoniser le niveau maximal de garanties des dépôts d’un établissement de crédit au niveau européen et cela afin de permettre un achèvement du marché unique bancaire[2].
Cette directive a fait l’objet de modifications substantielles, lors de l’adoption de la directive 2014/94/UE[3].
Un plafond pour le montant de garantie des dépôts a été décidé, ce dernier devait s’appliquer à l’ensemble des pays membre de l’Union, afin d’éviter une concurrence entre les États membres (certains proposaient autrefois des montants de garantie de dépôts plus importants que les autres).
Cette volonté d’harmonisation est l’une des conséquences de la crise économique de 2008, or à ce jour une nouvelle crise économique se prépare, certains États membres ayant déjà fait connaître les coûts de la récession dont faisait l’objet leur pays.
A titre d’exemple la France prévoit une baisse d’environ 8% de la croissance [4] ; selon les projections du FMI (Fond Monétaire International) l’Italie devrait subir une baisse de sa croissance en 2020 de 9,1%, l’Espagne de 8% et l’Allemagne de 7%. [5]
Dès lors, devons-nous maintenir coûte que coûte une garantie légale de dépôt des fonds de 100 000 euros afin de conserver la confiance mutuelle entre les déposants et les établissements de crédit ou devons-nous permettre d’aider les États membres à lutter contre la crise économique qui résultera du Covid-19 en amendant la directive 2014/94/UE ?
Cette problématique est actuelle mais surtout elle impose de réfléchir sur la notion suivante : quel intérêt devons-nous faire primer ? L’intérêt des particuliers ou l’intérêt des États membres et au travers de ces derniers l’intérêt national et l’intérêt de l’Union Européenne ?
La directive adoptée en 2014, prévoit à l’alinéa premier de son article 6, que le niveau de garantie doit être de 100 000 euros, pour l’ensemble des dépôts effectué par le déposant par établissement de crédit. Ce niveau de garantie doit être assuré par les États membres.
Mais avec la crise sanitaire du Covid-19, dans laquelle les banques jouent actuellement un rôle plus qu’important en facilitant les suspensions des remboursements de crédit, en facilitant l’octroi de prêts aux petites et moyennes entreprises afin de les aider à surmonter cette crise, ces dernières pourraient se retrouver dans une situation semblable à celle de 2008.
Si pour le moment, cela ne semble pas être le cas, tel que le rappelle notamment le Haut Conseil de Stabilité Financière[6], qui rappelle que les banques sont bien mieux préparées qu’en 2008, une question se pose : cela va-t-il perdurer dans la durée ?
Les États Membres de l’UE prenant des mesures nationales importantes afin de relancer leur économie nationale pourraient avoir besoin de fonds, ces derniers auront besoin de liquidités afin de mener à bien leur projet pour éviter de voir leur économie sombrer.
Dès lors, les différents établissements de crédit pourraient être mobilisés pour aider les pays dans leur lutte contre le coronavirus, comme l’avait notamment décrété Emmanuel Macron le Président de la République française, l’État français « est en guerre »[7], il est légitime de s’interroger si des mesures exceptionnelles, nécessitées par les circonstances actuelles pourraient dès lors être prises. Ce type de mesure est notamment inscrit dans la Constitution française[8], sans pour autant être identiques à cette singularité française, certaines constitutions européennes accordent à leur autorité (en cas de situation exceptionnelle, état d’urgence notamment) la possibilité de prendre toute mesures nécessaires pour un retour à la « normale ».
En admettant ou en facilitant la prise de mesures exceptionnelles, nécessaires en cas de crise, les gouvernements des États membres pourraient légiférer afin de réquisitionner les fonds nécessaires auprès des établissements bancaires nationaux, ces États en difficulté financières auront besoin de fonds complémentaires, or avec une limite de garantie des dépôts de 100 000 euros, beaucoup d’État n’auront pas les moyens efficaces de faire face à la crise.
L’INSEE[9] (organisme français) a récemment publié des données sur les taux d’épargne des ménages dans quelques pays européens[10]. Les résultats de cette étude démontrent très clairement qu’en 2018, le taux d’épargne moyen au sein de l’Union Européenne était de 10,3%, par ailleurs de grandes disparités existent là aussi entre les pays de l’Union Européenne, par exemple les taux d’épargne des ménages résidents dans les pays suivants : Allemagne, Pays-Bas est supérieur à 15%, alors que dans les pays suivants : Espagne, Finlande, Portugal, Italie il est inférieur à 10%.
Évidemment un autre facteur à prendre en considération tel que le nombre de ménage présent dans les pays.
Dès lors, un pays comme l’Allemagne dont la population est de 83 millions d’habitants doit avoir un nombre de ménage plus important que la Finlande dont le nombre d’habitants est inférieur à 6 millions. Dès lors avec un nombre de ménage important et un taux d’épargne de ces ménages très important (18,5 en 2018, selon l’INSEE), les établissements de crédits allemands disposeront de beaucoup plus de ressources financières que d’autres états tel que la Finlande par exemple.
Si en plus, une garantie des dépôts à hauteur de 100 000 euros est maintenue, certains pays ne pourront demander de l’aide à leurs établissements de crédits afin de lutter contre l’épidémie, notamment si on prend l’ensemble des critères suivants en considération : un taux d’épargne faible ; un nombre de ménages peu important et peu de dépôts d’un montant supérieur à 100 000 euros.
Ces pays-là ne pourront lutter efficacement contre la crise économique qui résultera de la crise sanitaire liée au Covid-19 et aux futures crises (car à moins d’être un véritable utopique il y en aura d’autres).
Par ailleurs, cette directive européenne harmonisant au niveau européen le système de garantie des dépôts (SGD) auprès des établissements de crédits n’est pas un texte sans intérêt loin de là, à ce titre il faudra se remémorer la crise financière qui a touchée Chypre. Ce pays qui était au bord de la faillite en mars 2013 à la suite de la crise de 2008.
Dans la nuit du 24 au 25 mars 2013, un plan de sauvetage a été conclu entre Chypre (pour la partie République de Chypre uniquement et non pour la partie République Turque de Chypre du Nord), le FMI et les autres pays membres de l’UE, afin d’accorder une aide colossale à l’île chypriote. Lors de cet accord il avait été décidé de la liquidation des deux banques suivantes : la Laïki Bank et la Cyprus Popular Bank. Pour éponger les dettes de la Laïki Bank il a été décidé de réquisitionner tous les dépôts supérieurs à 100 000 euros, ce qui représentait un peu plus de 4 milliards d’euros.
La directive 2014/94/UE a donc une importance considérable toutefois celle-ci pourrait montrer ses limites en temps de crise.
Comme exposé précédemment, selon les pays les montants des épargnes n’est pas le même dans tous les pays européens et cela pour divers facteurs (densité de la population, taux d’épargne, montant des épargnes). Les établissements de crédits sis au sein de l’Union Européenne ne disposent dès lors pas tous des mêmes ressources, ainsi en cas de faillite d’un État membre (comme ce fut le cas à Chypre) si uniquement les dépôts supérieurs à 100 000 euros ne sont pas garantis et que ces derniers se verraient réquisitionnés, tous les États membres ne pourraient pas faire face à leur faillite de la même façon.
Par ailleurs un aléa important est aussi à prendre en considération c’est le « bank run », en cas de crise, les épargnants ont tendance à prendre peur et à se ruer auprès de leur banque afin d’y récupérer des liquidités, ce qui induit de facto une diminution du montant des dépôts.
Ce type d’aléa est bien connu, la Banque de France a récemment pris des mesures afin de permettre une continuité de l’accessibilité des billets à l’ensemble des concitoyens français [11].
Si la crise venait à perdurer, que la situation ne s’améliorait pas, que les États membres continuaient de multiplier les mesures économiques afin de lutter contre la crise du Covid-19, ces derniers auront besoin de liquidés. Si les dépôts auprès des établissements de crédits s’avéraient, par la suite sollicités, quels montants pourrait donc bien récupérer ces États ? Les montants des dépôts supérieurs à 100 000 euros auprès de ces établissements de crédits, mais au regard des divers facteurs énoncés, auront-ils les fonds nécessaires immédiatement disponibles ?
La question est importante et nul ne sait comment évoluera cette crise sanitaire et les conséquences économiques qui s’en suivront…
Si la directive 2014/94/UE permet d’accorder aux établissements de crédit la confiance des déposants, cela ne devrait-il toutefois pas être remis en cause au regard de l’intérêt de l’Union Européenne ?
Une solution qui pourrait dès lors, permettre aux états européens, en état de faillite de faire face plus facilement à cette dernière et assurer leur survie serait de limiter le montant de garantie des dépôts auprès des établissements de crédit.
Passer ce montant de 100 000 euros à 80 000 euros, permettrait d’assurer la survie de certains États membres au bord de la faillite, puisque cela permettrait d’augmenter les disponibilités que ces derniers pourraient obtenir et qui n’auraient pas besoin d’être garanti par l’établissement de crédit.
Cette ponction des dépôts supérieurs à 100 000 euros avait autrefois aidé Chypre à éviter la faillite, aujourd’hui la situation est autrement différente, puisque Chypre avait disposé notamment de l’aide de l’Union Européenne, or si aujourd’hui plusieurs États de l’Union Européenne se retrouvaient au bord de la faillite, peut-on affirmer que l’Union Européenne pourra aider tous ces États de manière concomitante ?
La confiance des déposants dans leur établissement bancaire doit-elle dès lors primer sur le reste ? Ou devons-nous repenser certains mécanismes afin de participer à cet « effort de guerre ».
A ce jour amender la directive 2014/94/UE pourrait permettre à certains établissements bancaires de s’apaiser et pourrait peut-être permettre à ces derniers à investir ou à augmenter l’octroi du nombre de prêts aux entreprises (PME et moyennes entreprises) ainsi qu’aux particuliers.
De plus, en diminuant le montant de la garantie des dépôts, on pourrait faciliter le remboursement de ces sommes en cas de faillite de l’établissement bancaire qui aura forcément moins de difficulté à rembourser 80 000 euros plutôt que 100 000 euros, si cela s’avérait expliquer correctement aux déposants, la confiance de ces derniers envers les établissements de crédit pourrait être maintenue.
Résumé
Au regard de la situation actuelle (crise sanitaire et crise économique qui en découle) il est important de s’interroger sur les priorités de l’Union Européenne, à savoir maintenir une forte confiance dans les établissements de crédits ou accepter de modifier la directive européenne 2014/94/UE afin d’envisager comment aider les pays qui pourraient s’avérer au bord de la faillite à la suite de la crise sanitaire.
Tous les pays de l’Union Européenne prennent des mesures exceptionnelles pour tenter d’endiguer la crise, or cela coûte des milliards aux États, certains États membres s’endettent pour cela. Or nul ne connaît la fin de cette crise, nul ne sait comment y mettre un terme définitivement et cela pourrait encore prendre des mois. Certains États membres ne pourront y faire face aussi longtemps et une situation critique telle que celle qu’a connu Chypre en 2013 pourrait nécessiter des mesures exceptionnelles et notamment la ponction des dépôts présents auprès des établissements bancaires.
Or avec une garantie à hauteur de 100 000 euros et au regard des disparités qui existent entre les états en termes de population, du taux des épargnes des ménages et du montant de ces épargnes, certains États pourraient ne pas avoir les ressources financières nécessaires pour mener à bien leur lutte contre le Covid-19.
Dès lors, il serait utile d’amender la directive 2014/94/UE afin de modifier le montant de la garantie des dépôts de 100 000 euros en la passant à 80 000 euros, ce qui permettrait en cas de besoin de limiter le coûts qui pèsent sur les systèmes de garanties, sur les établissements bancaires et pourraient assurer un montant de ressources financières pour l’État demandeur.
[1] Directive 94/19/UE du Parlement Européen et du Conseil, en date du 30 mai 1994, relative aux systèmes de garanties des dépôts.
[2] §2 de la Directive 94/19/UE précitée.
[3] Directive 14/94/UE du Parlement Européen et du Conseil, en date du 16 avril 2014, relative aux systèmes de garanties des dépôts (refonte).
[4] Interview de Bruno Le maire, (Ministre de l’Économie et des Finances en France) invité sur les plateaux de RMC et BFMTV, le 14 avril 2020.
[5] Tableau 1.1 intitulé « Perspectives de l’économie mondiale : aperçu des projections », publié sur le site officiel sur FMI, à l’adresse suivante : https://www.imf.org/fr/Publications/WEO/Issues/2020/04/14/weo-april-2020
[6] Communique de presse de la HCFS, en date du 18 mars 2020, à la suite de sa vingt-quatrième séance.
[7] Allocution télévisée de Emmanuel Macron en date du 16 mars 2020.
[8] Article 16 de la Constitution française, datée du 4 octobre 1958 ; article 55 du Chapitre V de la Constitution espagnole datée du 27 décembre 1978 ; article 228 et s. de la Constitution polonaise datée du 2 avril 1997 ; article 48, présent dans l’intitulé « Les Ordres Juridiques Spéciaux » de la Constitution hongroise datée du 25 avril 2011.
[9] Institut National de la Statistique et des Études Économiques
[10] Figure n°3 : Tableau intitulé : « Taux d’épargne des ménages dans quelques pays de l’UE », paru le 27 février 2020, (https://www.insee.fr/fr/statistiques/4277790?sommaire=4318291&q=épargne)
[11] Communiqué de presse de la Banque de France en date du 16 mars 2020, intitulé « La Banque de France et les acteurs de la filière fiduciaire restent pleinement mobilisés pour assurer l’accessibilité des billets à l’ensemble des concitoyens », disponible sur le site officiel de la Banque de France https://www.banque-france.fr/communique-de-presse/la-banque-de-france-et-les-acteurs-de-la-filiere-fiduciaire-restent-pleinement-mobilises-pour