Nouveautés relatives à la réserve héréditaire

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L. n°2021-1109 du 24 août 2021

Ce lundi 1er novembre entrera en vigueur la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, qui introduira notamment un dispositif de protection renforcée de la réserve héréditaire par l’ajout de deux nouvelles dispositions aux articles 913 et 921 du Code civil. Celles-ci seront applicables aux successions ouvertes à compter du 1er novembre 2021, y compris en présence de libéralités consenties antérieurement par le défunt.

Rappel :

La réserve héréditaire de droit français est définie à l’article 912 du Code civil comme « la part des biens et droits successoraux dont la loi assure la dévolution libre de charge à certains héritiers dits réservataires, s’ils sont appelés à la succession et s’ils l’acceptent ». Ainsi, les descendants (et à défaut le conjoint) du défunt bénéficient au décès de ce dernier d’une fraction prédéfinie de son patrimoine, en vertu de leur lien de filiation.

A l’inverse, la quotité disponible est la fraction des biens et droits successoraux dont le de cujus peut disposer librement par des libéralités ; elle oscille entre 1/2 et 1/4 du patrimoine en fonction du nombre d’enfants en présence.

Une atteinte à la réserve existe lorsque les libéralités consenties par le défunt, qu’elles aient eu lieu entre vifs ou à cause de mort, excèdent cette quotité disponible.

Il est alors possible pour les héritiers dits réservataires d’intenter une action en réduction des libéralités excessives afin de reconstituer leur réserve et ainsi de recouvrer leurs droits. Cette action en réduction n’est toutefois pas automatique et doit être demandée par chacun des héritiers concernés.

Par ailleurs, en présence d’une succession internationale, il existait auparavant un droit de prélèvement qui permettait aux héritiers français de prélever sur les biens situés en France une portion égale à la valeur des biens situés à l’étranger dont ils étaient éventuellement exclus en raison de lois ou coutumes étrangères différentes. 
Ce droit de prélèvement a néanmoins été abrogé, après avoir été jugé inconstitutionnel par une décision du Conseil constitutionnel (décision n° 2011-159, QPC du 5 août 2011), en raison d’une méconnaissance du principe d’égalité engendrée par la différence de traitement entre héritiers français et héritiers étrangers d’une même succession.

Quelles sont les nouvelles dispositions ?

D’une part, le nouvel alinéa de l’article 921 crée une obligation renforcée d’information et de conseil du notaire à destination des héritiers réservataires lors du règlement de la succession. Ainsi, le nouvel article dispose que « lorsque le notaire constate, lors du règlement de la succession, que les droits réservataires susceptibles d’être atteints par les libéralités effectuées par le défunt, il informe chaque héritier concerné et connu, individuellement et, le cas échéant, avant tout partage, de son droit de demander la réduction des libéralités qui excèdent la quotité disponible ».
Désormais, avant la signature de l’acte de partage, le notaire a donc l’obligation formelle de renseigner les héritiers concernés au sujet de ce droit de réduction des libéralités qui, en plus de ne pas être automatique, n’est pas nécessairement connu de tous.

D’autre part, la seconde mesure a trait aux successions internationales, puisqu’elle réintroduit à l’article 913 du Code civil un droit de prélèvement compensatoire. Celui-ci a vocation à s’appliquer sur les biens situés en France au bénéfice d’héritiers exhérédés en application d’une loi étrangère. Le prélèvement sera alors possible sur l’équivalent de la réserve de droit français, et ne sera cette fois pas réservé aux héritiers français.

Ainsi, le nouvel article dispose que « lorsque le défunt ou au moins l’un de ses enfants est, au moment du décès, ressortissant d’un État membre de l’Union européenne ou y réside habituellement et lorsque la loi étrangère applicable à la succession ne permet aucun mécanisme réservataire protecteur des enfants, chaque enfant ou ses héritiers ou ses ayants cause peuvent effectuer un prélèvement compensatoire sur les biens existants situés en France au jour du décès, de façon à être rétablis dans les droits réservataires que leur octroie la loi française, dans la limite de ceux-ci ».

Les trois conditions à remplir sont donc les suivantes :

  1. La succession comprend des biens meubles ou immeubles situés en France
  2. La loi applicable à la succession ne prévoit pas de réserve héréditaire
  3. Au moment du décès, le défunt ou l’un des successibles est ressortissant ou résident habituel d’un État membre de l’Union

Cette disposition n’est pas sans créer des difficultés du point de vue de la doctrine, puisqu’elle vient remettre en cause le principe d’unicité de la loi successorale voulu par le règlement européen n° 650/2012. En effet, l’article 21 du règlement définit la loi de la dernière résidence du défunt, à défaut du choix de sa loi nationale, comme la loi applicable à l’ensemble de la succession. Un droit de prélèvement français, donc national, viendra dès lors déstabiliser l’application d’une loi désignée par un règlement européen.
De plus, ce droit français pourra être invoqué par des héritiers qui n’ont aucun lien avec la France, du moment que l’un d’entre eux ou le de cujus était ressortissant d’un État membre de l’Union européenne. Réciproquement, si le défunt et tous les successibles sont des ressortissants britanniques par exemple, il ne sera pas possible pour eux d’invoquer ce droit alors même que la succession comprendrait des biens en France.

Vivement critiqué, ce droit de prélèvement est en réalité essentiellement institué pour lutter contre les lois étrangères de droit musulman, qui établissent une différence entre héritiers de sexe masculin et féminin.

Or, cette nouvelle disposition vise les successions internationales dont la loi applicable est supposée exclure la réserve, ce qui n’est pas le cas des droits musulmans. En effet, malgré une différence de traitement entre héritiers hommes et femmes qui ne sont pas allotis de la même manière, ces droits connaissent généralement bien une réserve héréditaire au sens d’une fraction prédéterminée du patrimoine du défunt.

Finalement, ce nouveau droit de prélèvement compensatoire ne devrait avoir de réel impact qu’en présence d’une loi successorale anglo-saxonne, puisque celles-ci sont les seules à exclure purement et simplement le mécanisme de la réserve. Un de cujus de nationalité britannique ou américaine détenant des biens en France et ayant récemment rédigé un testament en optant pour sa loi nationale risquera alors de voir ses dernières volontés en partie inappliquées s’il ne gratifie pas ses enfants. Il suffira pour cela que lui ou l’un de ses héritiers soit ressortissant ou résident d’un quelconque État membre de l’Union européenne au moment du décès afin d’invoquer cette disposition de droit français, et ce alors même que la réserve a été expressément exclue de l’ordre public international par les arrêts Jarre et Colombier de 2017.

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